L’affaire des violences sexuelles au sein de l’établissement Notre-Dame de Bétharram montre que beaucoup d’adultes connaissant les sévices infligés aux élèves n’ont rien fait, souligne le collectif #NousToutes dans une tribune au « Monde » qui a recueilli les signatures d’Anna Mouglalis, Annie Ernaux, Judith Godrèche, Vanessa Springora et Virginie Despentes.

Le scandale de l’école Notre-Dame de Bétharram (Pyrénées-Atlantiques) a choqué tout le pays par son ampleur, le nombre de victimes et le nombre d’années au cours desquelles d’innombrables enfants ont été victimes de sévices physiques et psychologiques et de violences sexuelles. Les témoignages, glaçants, continuent d’affluer. Et pour autant de victimes qui ont parlé, combien ne l’ont pas fait, n’ont pas pu le faire, ne le feront peut-être jamais ?

Il est temps pour la société française tout entière de sortir du déni. Les chiffres sur les violences sexuelles faites aux enfants en France sont effarants, alors qu’ils sont sous-estimés. On sait aujourd’hui que plus d’un dixième de la population française, soit trois enfants par classe, a été victime de violences sexuelles dans l’enfance. On sait les conséquences psychologiques et sociales, les suicides, les vies brisées.

Et à chaque fois, les mêmes mécanismes sont à l’œuvre. Des enfants mis à mal, ou détruits psychiquement. Des adultes qui ciblent et calculent pour pouvoir poursuivre leurs agissements et conserver leur pouvoir. Et c’est bien ce que ce scandale révèle de manière particulièrement terrifiante : des adultes qui savent et ne font rien. Des figures d’autorité, familiales, institutionnelles, politiques, qui pourraient agir pour protéger les victimes, actuelles et futures, et qui ne le font pas.

Tout le monde savait

A Notre-Dame de Bétharram, tout le monde savait. Des enfants avaient parlé, des plaintes avaient été déposées, des enquêtes avaient été lancées, des signalements ont eu lieu et personne, personne n’a mis un terme au cycle de violences physiques et pédocriminelles qui ravageait l’établissement. Personne n’a respecté l’article 40 du code pénal qui dispose que les agents de l’Etat ont l’obligation de dénoncer et d’engager des procédures lorsqu’ils et elles ont connaissance d’un crime ou d’un délit. Personne n’a protégé les enfants.

La violence sexuelle est un système qui repose sur le silence, la négation de la parole des victimes, l’inaction – ou la complicité – des instances de pouvoir. Ce sont ces mécanismes qui la rendent possible.

Malgré ses démentis, le premier ministre, François Bayrou, a été informé dès le milieu des années 1990 en tant que maire de la ville de Pau, en tant que député, en tant que ministre de l’éducation nationale, des violences physiques et pédocriminelles ayant lieu dans l’école Notre-Dame de Bétharram, où étaient scolarisés ses enfants. Non seulement il n’a jamais agi pour y mettre un terme, mais il a pris position publiquement pour défendre l’école.

Que dire aux enfants qui écoutent les informations et cherchent à comprendre ? Que dire aux enfants et à toutes les victimes de violences sexuelles qui se battent au quotidien malgré leurs traumatismes ? Que l’éducation nationale savait, que la justice savait, que le chef actuel du gouvernement français savait, que personne n’a agi, et que c’est normal ?

Des réponses et des actes

Aujourd’hui, alors que des voix se lèvent pour réclamer justice et dénoncer ce système de silence et de protection des agresseurs par les institutions, nous, personnes engagées dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, membres de la société civile, attendons des réponses et des actes. Les auteurs des violences à l’école Notre-Dame de Bétharram et ceux qui les ont protégés durant trente ans ne doivent en aucun cas rester impunis. Leur niveau de responsabilité est à l’échelle de leur pouvoir.

Nous demandons au président de la République, au premier ministre, à tous les responsables politiques, de prendre leurs responsabilités et les décisions qui s’imposent. La responsabilité des institutions dans la permanence des violences sexuelles et des violences faites aux enfants doit être reconnue. Et ceux qui ont protégé des agresseurs doivent répondre de leurs actes.

La lutte contre les violences sexuelles et les violences faites aux enfants devrait être et doit devenir une priorité absolue en France, avec la volonté politique, les financements nécessaires, et des mesures immédiates. Les préconisations de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) doivent être appliquées. La commission d’enquête sur les violences dans les établissements scolaires doit travailler en toute indépendance, et rendre publiques ses conclusions.

Nous demandons que les victimes de violences soient reconnues, protégées et accompagnées, que les agresseurs soient poursuivis et condamnés. Nous demandons que cessent définitivement les violences faites aux enfants et l’impunité des agresseurs.

 

Les signataires : collectif #NousToutes ; Anna Mouglalis, comédienne ; Annie Ernaux, écrivaine et prix Nobel de littérature 2022 ; Corinne Masiero, comédienne ; Elodie Arnould, humoriste ; Hélène Devynck, journaliste et écrivaine ; Judith Godrèche, comédienne, réalisatrice, scénariste ; Laura Calu, humoriste et comédienne ; Lucie Lucas, comédienne ; Vanessa Springora, écrivaine ; Virginie Despentes, écrivaine ; Stéphanie Nadji, activiste du Collectif enfantiste ; Dominique Guillien-Isenmann, présidente de la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF-3919) ; Cassandre Grenaut, militant à Fransgenre ; Sarah Durocher, présidente du Planning familial ; Julie Ferrua, codéléguée générale de l’Union syndicale Solidaires ; Léa Jules-Clément, secrétaire nationale de l’Union étudiante.


Liste complète des signataires
Tribune initialement parue dans Le Monde

 

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