Nous basons notre argumentaire sur l’analyse des données du numéro vert national « Sexualités, Contraception, IVG » porté par l'association militante du Planning Familial et sur les remontées d’informations de nos associations départementales qui continuent à être actives sur tout le territoire que ce soit à travers les permanences physiques ou téléphoniques.
Le numéro national anonyme et gratuit, le 0800 08 11 11, reçoit les demandes d’écoute, d’information et d’orientation de tout le territoire : il favorise un accès égal de toutes et tous à une information claire et exacte grâce à une écoute sans jugement sur les questions liées aux sexualités, à la contraception, à l'IVG, aux IST et de lutte contre les violences. Il est ouvert du lundi au samedi de 9h à 20h en métropole, du lundi au vendredi de 9h à 17h dans les Antilles et de 8h à 18h dans l’Océan Indien.
Les écoutant.e.s remplissent pour chaque entretien téléphonique un formulaire informatisé appelé «fiche d'appel» : cela permet de disposer de données statistiques quantitatives et qualitatives qui servent d'analyse sur la période actuelle.
Nous observons sur la période du 30 mars au 19 avril 2020, une augmentation des appels de 31% par rapport à la même période de l'année 2019 (les écoutant.e.s ont enregistré 2045 fiches d’appel contre 1565 en 2019). Si le nombre d'appels connait une baisse par rapport aux deux premières semaines de confinement*, l'augmentation reste conséquente et notre équipe d'écoutant.es du numéro vert est plus que jamais sollicitée.
Concernant les sujets des entretiens téléphoniques, nous observons une augmentation significative des appels concernant l'IVG (58% contre 48% en 2019 sur la même période) et concernant les tests de grossesse (13% contre 8% en 2019). Nous notons par contre une diminution des appels concernant la contraception, la vie affective et sexuelle et les IST/VIH.
Nous sommes donc dans une période où l'urgence prime sur la réduction des risques (prévention des IST et des grossesses non désirées) et la prise en compte globale de la vie sexuelle (questionnement sur les sexualités, sur le couple, le désir, le consentement, etc...)
Nous avons par ailleurs une augmentation de 330% des difficultés exprimées par les appelant.e.s lors des appels. Ceux-ci concernent les dysfonctionnements ou le non-respect de la loi dans la prise en charge des personnes souhaitant réaliser une IVG ou se faire délivrer/poser une contraception, un accueil IVG culpabilisant et/ou jugeant, une désinformation par un·e professionnel·le ou un·e personne anti-IVG, une situation de violences conjugales ou familiales, une situation de dépassement des délais légaux français pour la réalisation d’une IVG entraînant un avortement à l’étranger et bien sûr les difficultés liées auconfinement.
les femmes viennent globalement moins avorter alors qu’elles en ont toujours le même besoin
Si la loi n’a pas changé, si les procédures d’IVG médicamenteuses en ville ont été assouplies et si la plupart des hôpitaux se sont organisés pour maintenir les IVG pendant l’épidémie de coronavirus, les femmes viennent globalement moins avorter alors qu’elles en ont toujours le même besoin. C’est le constat que font beaucoup de centres IVG : l'activité des IVG a diminué depuis le début du confinement même si elle a commencé à augmenter par rapport aux deux premières semaines. On assiste également à une augmentation de demandes femmes dont le délai de grossesse est avancé, voire dépassé pour la France.
Sur la période observée, nous avons eu sur trois semaines 54 demandes sur le numéro vert pour une IVG à l'étranger ou une IMG en France, contre 19 demandes en 2019, c'est à dire une augmentation de 184% des demandes pour une interruption de grossesse au-delà de 12 semaines de grossesse.
Les effets du confinement sont délétères pour l’exercice du droit à l’avortement. Le manque de campagne publique d’information portant des messages clairs à destination du grand public nourrit les croyances, les interprétations, les doutes des femmes sur leur légitimité à exercer leur droit. Face à cette carence le Planning Familial a lancé le 24 avril dernier sa propre campagne d’information sur l’exercice des droits sexuels et reproductifs pendant la crise sanitaire. Le confinement a des conséquences également sur la mobilité et la possibilité des femmes à avorter : même si elles ont le droit, elles ne peuvent pasforcément l’exercer (pas ou peu de transports en commun pour aller avorter, besoin de confidentialité impossible à concrétiser, malade du Covid, enfants en permanence à la maison...).
Les fiches d’appels enregistrées sur le numéro vert, et les données remontées de nos associations départementales font apparaître un certain nombre de difficultés : voici les principales associées avec des paroles d'appelant.e.s :
Les professionnel.les sont mals informé.e.s sur l'accès à l'IVG pendant cette période de confinement et sont démuni.es pour orienter les femmes, particulièrement les femmes jeunes, population rendue plus vulnérable en cette période de confinement :
« Je suis gynécologue à l'hôpital et nous n'arrivons pas à trouver une CCF afin de faire l'entretien psychosocial à une mineure avant l'IVG. Vers qui puis-je me tourner ? Si on ne trouve pas, une psy de l'hôpital peut-elle faire son entretien ? »
"On s'occupera de votre ivg après le covid" Réponse d'un hôpital
Les structures qui pratiquaient déjà peu les IVG ou pour lesquels nous avions déjà remarqué des dysfonctionnements, n'ont pas amélioré leur prise en charge et les difficultés persistent.
L’argument du COVID est parfois le prétexte à imposer méthode ou procédure qui vont à l’encontre du choix des femmes : ainsi, une jeune femme mineure voulant garder le secret vis-à-vis de ses parents a toujours le droit d’être accompagnée d’un.e référent.e majeur.e. Si l’IVG médicamenteuse est systématiquement proposée, l’IVG instrumentale est inégalement accessible selon les territoires.
Cette désinformation nourrit la peur, peur qui est renforcée par l’isolement et cela se confirme tout au long de ces cinq semaines de confinement :
- Peur du COVID19 et inquiétude, stress important lié à l'épidémie et au confinement, voire impossibilité d'avorter :
* peur d’être contaminée et de contaminer provoque l’angoisse de sortir et le renoncement à la démarche
* peur de ne pas trouver de rendez-vous pour IVG ou échographie
* rendez-vous annulés au dernier moment par des praticiens
* nécessité dans certains départements d’appeler plusieurs structures pour avoir un RDV
* difficulté à joindre les structures par téléphone
* certains accueils des hôpitaux ne savent pas que le service IVG fonctionne et renvoient les patientes
* peur de se déplacer dans les structures médicales ou à la pharmacie et de contracter le virus
* peur d’être contrôlée au-delà d’1 km de son domicile pour des RDV médicaux
* impossibilité de faire garder son ou ses enfants pour effectuer les démarches liées à l’IVG : recherche de praticiens qui proposent des téléconsultations
* peur de ne pas pouvoir « gérer l’IVG » en plus de l’école et des enfants à la maison
* pas de soutien des amies ou des proches dans le cas d’une difficulté de choix et d’une IVG
* absence de transport en commun...
« J’aimerais faire une IVG la nuit pour sortir sans que mes parents le sachent. »
« J'attends, il faut que ça se passe, mais j'ai peur pour le délai d'IVG »
« J'ai peur de sortir et de transmettre ensuite le virus à ma fille » (femme inquiète et très triste de découvrir sa grossesse)
"J'ai su que j'étais enceinte au début du confinement mais je ne savais pas quoi faire. Il ne faut absolument pas que mes parents le sachent"
Dans ce contexte, les opposants au droit à l’avortement qui ont fait de leur numéro vert très bien référencé un outil de lutte, s’engouffrent dans toutes les brèches : réseaux sociaux, sites .... tout en échappant à l’incrimination de délit d’entrave sur internet. Pour exemple, cette jeune femme dont le fil de sa page Facebook sponsorisé est fréquemment envahi par ce message "IVG : vous hésitez ? Venez en parler !" des antis choix IVG.NET.
- Peur de faire la démarche, et sentiment de culpabilité d’avoir une grossesse non désirée pendant cette crise ou d’illégitimité à avorter alors que les soignant.es sont occupé.es à "sauver des vies" :
« Je n’ai pas de papiers, je ne sais pas si je dois garder la grossesse, mon cas est secondaire... »
- Difficultés de faire un test de grossesse quand on est une jeune femme confinée avec ses parents, de faire une IVG à domicile quand on ne veut pas informer les personnes avec qui on vit. Cela génère un stress qui met les personnes dans un sentiment d’incapacité à faire face, de perte de compétences, de repères.
"C'est difficile de sortir acheter un test de grossesse avec les parents qui sont tout le temps là"
«Je vais faire une IVG médicamenteuse, mais je ne peux pas en parler à ma famille avec qui je vis. « J'ai peur de comment cela va se passer le jour J avec eux autour.»
La solitude renforce l’angoisse dans le vécu de l’IVG
« J'ai un enfant de 18 mois comment ça va se passer pour l'IVG médicamenteuse c'est galère pour les rendez-vous et le protocole à la maison si mon ami ne peut pas garder le petit. »
"C'est un appel à l'aide. On est désespérés."
L’importance de l’information fiable et la carence en la matière ont été mise en évidence durant ces cinq premières semaines de confinement : la loi sur l’IVG n’a pas été modifiée, les délais d’IVG non plus. Certaines mesures ont été mises en place pendant la crise du Covid comme la possibilité de faire des IVG en téléconsultation et une IVG par médicaments à domicile jusqu'à 7 semaines de grossesse. Certaines femmes les utilisent déjà et cela leur permet de téléconsulter sans avoir à prévenir leur entourage et parfois de prendre ainsi les médicaments la nuit.
Cependant la généralisation des téléconsultations, si elle facilite l’accès au droit à certaines femmes, en exclue d'autres, notamment les femmes qui n'ont pas d'accès Internet, ou une difficulté à s'exprimer à distance d'un soignant.
Comme plusieurs professionnel.le.s des CIVG et praticien.ne.s de ville, le Planning Familial craint une recrudescence d’IVG au-delà des délais français après le confinement. Il faudra informer de la possibilité d’accès à l'IMG (interruption médicale de grossesse) pour raisons psychosociales pour que toutes les femmes dans cette situation trouvent une solution en France.
« Je suis à 14 semaines et je ne veux pas garder ce bébé ! »
Les avortements à l’étranger sont toujours un parcours de la combattante avec les contrôles aux frontières, les fermetures de certaines cliniques, et la difficulté de se faire accompagner.
L’attente est encore plus difficile à vivre, une femme s’inquiète de ne pas recevoir de confirmation de RDV de la clinique au Pays-Bas et de ne pas pouvoir passer la frontière
C’est donc maintenant et en prenant en compte l’expertise des associations qui ont maintenu leur présence sur le terrain, qu’il faut réfléchir concrètement à la sortie du confinement.
Ce que nous voulons : ne plus attendre mais agir en concertation pour être prêt.es le 11 mai :
- Une déclinaison concrète et une poursuite des engagements gouvernementaux**.
Cela ne peut se faire sans l’inclusion des acteurs associatifs et citoyens dans un "comité national «déconfinement »
- l’organisation et l’articulation de tous les dispositifs pour permettre à toutes les femmes qui vont vouloir avorter de trouver une réponse en France.
- le maintien des mesures IVG COVID après le 11 mai et l’alignement du délai d’IVG médicamenteuse à 9SA quels que soient les lieux, en consultation sur place ou à distance
- la possibilité de se rendre à l’étranger pour un avortement avec un cadre facilitant (garantie de passage aux frontières aller-retour, remboursement par la sécurité sociale...)
- une attention particulière aux conditions de prise en charge : éviter des dépenses supplémentaires liées à plusieurs consultations médicales ou à des dépassements d'honoraires
- simplification de la prise en charge; réduction du nombre de consultations, réduction du délai de 48h pour les mineures...
- redire
- que l'échographie n'est pas indispensable pour une IVG médicamenteuse
- que l'entretien psycho-social n'est pas obligatoire ni même nécessaire dans la majorité
des situations
- Une campagne nationale d’information grand public (radio télé réseaux sociaux journaux etc) qui rappelle le cadre d’exercice du droit y compris le choix de la méthode, qui précise l’organisation post confinement et promeut les lieux et sites fiables. Le référencement de ces sites en tête de recherche sur Internet fait partie intégrante de cette campagne.
Et la déclinaison de cette information aux structures et professionnel.l.es concerné.e.s
- La réouverture tout ou partie des permanences des structures de proximité, EICCF et CPEF avec les moyens de la faire en toute sécurité : ce sont des lieux essentiels pour que les femmes aient accès à l’information, l'avortement et la contraception.
Le délai pour pratiquer une IVG en France n'a pas augmenté malgré de nombreuses demandes des professionnel.les et des associations
En France, les femmes en délai dépassé n'auront que la possibilité de demander une IMG pour raisons psycho-sociales, et pour celles qui auront les moyens, un avortement aux Pays-Bas dans de meilleures conditions sera sans doute la solution.
Le Planning Familial réaffirme avec d’autres professionnel.le.s la nécessité de réformer la loi avec : - une augmentation du délai légal d’IVG,
- la suppression de l’obligation de première demande à un médecin,
- la prise en charge de la femme en une seule consultation pour la méthode médicamenteuse comme pour l'aspiration.
L'avortement est un soin qui fait partie intégrante de la vie des femmes. Il ne doit plus être considéré comme un soin à part.
* Le premier point presse réalisé le 30 mars 2020, faisait état d'une augmentation des appels de 51% par rapport à l'année 2019 depuis le début du confinement
** Arrêté du 14 avril 2020 complétant l’arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d’organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.