Prise de parole du Collectif droits des femmes 69 lors de la manifestation du 23 novembre 2024
Nous nous retrouvons aujourd'hui autour de la journée du 25 novembre. Il y a 25 ans, cette date a été choisie par l'ONU pour en faire la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Si aujourd'hui, nous choisissons d'appeler cette journée celle des luttes contre les violences sexistes et sexuelles, celles des luttes contre les violences de genre, nous n'oublions pas la dimension internationale de cette date, qui raisonne particulièrement cette année.
Hier encore, nous avons assisté à l'arrivée de Trump à la Maison Blanche. Nous exprimons notre solidarité envers les femmes et les minorités de genre vivant aux Etats-Unis qui voient à nouveau leur existence menacée et leurs droits fondamentaux niés. Nous avons peur pour les agressions qu'elles et ils vont à nouveau subir. Au-delà des Etats-Unis, nous avons peur de cet horrible signal : l'extrême droite, l'autoritarisme, la misogynie gagnent du terrain partout.
Cette année, nous avons continué de voir les bombes russes tuer en Ukraine. Nous le répétons ici : le pouvoir de Poutine, violemment masculiniste et LGBTphobe, soutenu par la Corée du Nord, ne "dénazifie pas", il écrase, il oppresse, il réprime. Nous vous invitons d’ailleurs à une soirée pour discuter des femmes dans la résistance ukrainienne mercredi 4 décembre à 18h à la bourse du travail.
Cette année, nous avons vu, toutes les 4h une maison palestinienne détruite par une bombe israélienne . Au moment où nous écrivons ces lignes, nous savons que l'armée israélienne a tué au moins 42000 personnes dont 11000 enfants sans compter les 20 000 personnes portées disparues ou non-encore-identifiées.
Ces violences menées au nom d'une soi-disante "sécurité" et d'un pseudo "droit à la légitime défense" par l'une des armées les mieux équipées de la planète nous écrasent de tristesse et de désespoir et nous révoltent. Les crimes, y compris sexuels, commis par le Hamas, nous paralysent. Nous les condamnons depuis le 7 octobre 2023. Ces crimes aussi horribles soient-ils ne peuvent être une excuse au massacre du peuple palestinien.
L'absence de réaction internationale et la complicité des multiples partenaires du gouvernement israélien, dont la France, nous dégoûtent.
Mais nous refusons de nous résigner, nous refusons de regarder ailleurs en nous disant que le Proche-Orient est condamné à une guerre sans fin. Nous réclamons un cessez-le-feu, un retour de l'aide humanitaire et des services de base à Gaza, que la France cesse de fournir des armes à l'Etat Israëlien. Et c'est pourquoi nous souhaitions aussi donner la parole au Collectif Palestine qui s'exprimera juste après.
Le pouvoir des armes est un pouvoir patriarcal qui utilise les corps des femmes et des minorités de genre pour atteindre l'ennemi, pour produire des futurs combattants et terroriser les oppositions. A l'heure où nous parlons, le viol comme arme de guerre est aussi massivement utilisé en Ethiopie, au Soudan ou au Congo, là où les guerres ne font pas la Une des journaux.
La guerre que le patriarcat mène, contre toutes les femmes, contre les minorités de genre, et contre les enfants se mène aussi en France.
Cette année, en France, nous n'oublions pas les 122 femmes tuées par ce que femmes en France, en 2024, alors que l'année n'est pas finie. Nous n'oublions pas les 200 000 femmes victimes de violences conjugales.
Nous n'oublions pas que presque 100 000 personnes, femmes et minorités de genre, subissent chaque année un viol ou tentative de viols dans le pays qui se définit comme celui de la liberté, de l'égalité et de la bien-nommée fraternité. Cela représente un viol ou une tentative de viol en France toutes les 2 minutes 30.
Cette année nous ne pouvons pas oublier le procès des violeurs de Mazan et Gisèle Pélicot.
Nous n'oublions pas ce que le procès de Mazan fait éclater au grand jour : les violeurs, les agresseurs sont nos pères, nos frères, nos maris, nos voisins, des hommes ordinaires. Ils se couvrent mutuellement, se prêtent les victimes, s'organisent sur des réseaux sociaux ou des sites Internet avec la plus grande facilité, totalement persuadés que eux ne font pas de mal.
Ce ne sont pas des monstres puisqu'ils vivent parmi nous.
C'est dans notre société, dans notre pays, que vivent des hommes qui pensent au plus profond de leur être que les femmes, les minorités de genre et les enfants sont là pour servir et assouvir leurs fantasmes, être un défouloir de leur agressivité, de leur soif de pouvoir, quand ce n'est pas pour faire le ménage, la cuisine et laver leur linge.
Les violences sexistes et sexuelles sont partout, tout le temps. Elles pourrissent nos vies, à la maison, elles pourrissent nos vies au travail. On s'étonne à chaque fois de ces violences lorsque les victimes les dénoncent mais tout est mis en place pour qu'elles existent et perdurent.
Nous continuons d'être harcelées ou agressées au travail. Les métiers féminisés continuent d’être moins bien payés sous prétexte qu’ils ne mobilisent pas des vraies compétences comme infirmière, professeure des écoles, assistantes maternelles...
Nous continuons d'être confinées aux emplois précaires qui nous maintiennent dans la pauvreté et nous forcent à dépendre d'un autre salaire ou d'une autre retraite pour vivre.
On continue de nous dire que nos habits sont trop longs ou trop courts que nos corps sont trop gros ou trop maigres. Une députée peut être droguée par un autre député et celui-ci continuer d'être un élu de la république reçu par les autres élu.es de son groupe. On continue de pouvoir nous violer parce que nos conjoints ont donné leur autorisation.
Alors que cela fait 25 ans qu'existe cette journée, rien ou si peu n'a changé. La seule différence c'est que depuis 2016 il y a ce vaste mouvement #metoo. Grâce au courage de toutes les personnes qui témoignent de la violence du patriarcat et de la culture du viol, comme un flot inarrêtable. La parole de toutes ces victimes est enfin entendue et oblige la société patriarcale à s'y intéresser.
Alors que cela fait 25 ans qu'existe cette journée, comment nos services publics écoutent, soignent, accompagnent, réparent les victimes de violences sexistes et sexuelles ? Aucun moyen pour former les personnels en charge de l'accueil et de la défense des victimes.
La police française, pétrie de culture sexiste et raciste, continue de questionner les victimes sur leur tenue lors des agressions subies. Nous l'avions dit l'année dernière et nous le redisons cette année : en protégeant systématiquement les puissants, les riches, les forces de l'ordre participent pleinement du patriarcat.
La justice française continue d'humilier les victimes sans proposer de parcours réellement transformateurs aux coupables. Des avocats osent dire à propos de Gisèle Pelicot qu'elle était peut-être consentante.
L’Education Nationale continue de ne pas appliquer la loi de 2001, trop occupée à chasser les abayas. Les programmes officiels d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle ne sont toujours pas parus. L'Education Nationale ne propose pas, malgré l'urgence, une véritable éducation au consentement et à l'émancipation. Elle manque de moyens humains et financiers pour entendre et traiter correctement la parole des enfants victimes de violences intrafamiliales et d'inceste.
Les services de santé, où travaillent massivement des femmes et des minorités de genre, sont exsangues à force de politiques d'austérité. Ces services ne peuvent toujours pas proposer de prises en charge satisfaisantes pour nos soeurs, nos adelphes, nos mères, nos filles, nos amantes et nos amies aux corps et aux esprits blessés, cassés, brisés par le patriarcat. Quand il faut tout faire dans l'urgence, c'est le respect des corps qui passe à la trappe, et ce sont les violences gynécologiques, médicales, obstétricales qui se multiplient sur des corps considérés comme "minoritaires". Les services de santé, aussi, maintiennent, à des postes de pouvoir, des mandarins qui relativisent les violences sexistes, les pratiquent allégrement et agressent en profitant des temps de travail longs, des systèmes hiérarchiques et de leurs pouvoirs.
Alors que dire, que faire, face à l'ampleur des violences sexistes et sexuelles ?
Battons nous ensemble pour que la société change, pour que les violences sur les femmes, les minorités de genre, les enfants cessent.
Ne laissons rien passer : ni la soi-disante blague sexiste ni la remarque infantilisante que ce soit à la machine à café ou à la maison. N'ayons pas honte d'avoir été victime, n'ayons pas honte d'être une femme, ou minoritaire sur le plan du genre.
Battons nous pour affirmer, ensemble, notre propre valeur. Nos ressentis, nos mots, nos cris sont précieux. Chaque parole, chaque moment de rage contre le patriarcat, l'ébranle, même un peu. Regardons-nous, reconnaissons-nous, soutenons-nous face au patron ou au collègue qui agresse, face aux institutions qui ne nous croient pas.
Battons-nous contre le budget d'austérité qui s'annonce car ne nous y trompons pas : sans services publics fiables et solides, ce sont les femmes et les minorités de genre ainsi que les enfants qui seront les premières victimes. Ce sont les femmes et les minorités de genre qui vont devoir faire le travail qui n'est plus assuré par l'Etat et les services publics. Ce sont les femmes, les minorités de genre et les enfants qui ne vont plus être accompagné-es lorsqu'ielles seront victimes des violences sexistes et sexuelles.
Battons-nous pour une loi-cadre et un budget de plusieurs milliards d’euros pour éradiquer enfin ces violences !
Prenons la rue, comme aujourd'hui, pour se donner de la force, pour écouter les slogans et les chants de nos camarades, pour montrer aux pouvoirs en place que nous sommes là et que nous ne lâcherons pas.
Nous dénonçons d’ailleurs les difficultés de plus en plus grandes que nous rencontrons à obtenir de la préfecture un parcours de manifestation digne de la mobilisation massive contre les violences sexistes et sexuelles que nous attendons de la société. Il est devenu très difficile de défiler en centre-ville, car la paix des commerces et la liberté de consommer semblent plus importantes que le combat contre contre les violences !
Dès aujourd'hui, dès demain, continuons de nous organiser collectivement. Par quartiers, par syndicats, par associations, par organisations politiques. C'est quand nous parlons ensemble, quand nous construisons collectivement nos revendications et nos choix d'actions que nous faisons reculer les idées d'extrême droite, la violence, la peur, la haine de soi, la culture du viol et le patriarcat.
Ensemble détruisons ce système qui facilite les agressions, les encourage, les légitime lorsqu'elles sont commises sur des femmes, des minorités de genre, des enfants et des personnes dites "vulnérables". Car nous n'avons pas le choix. Nos vies en dépendent.
Aussi nous réclamons ici et maintenant :
- Un accueil et un accompagnement dignes, sécurisés et facilités pour toutes les personnes victimes de violences intrafamiliales, avec un renforcement du nombre et des budgets pour les structures d'accueil
- Un accueil et un accompagnement dignes, sécurisés et facilités pour toutes les personnes qui fuient des dictatures où la liberté de choix n'existe ni pour les femmes ni pour les minorités de genre
- Des moyens pérennes pour la prévention des violences, et non des discours creux, et pour que soit enfin appliquée la loi de 2001 sur les interventions en milieu scolaire pour l'éducation à la vie affective relationnelle et sexuelle, nous réclamons aussi la publication officielle des programmes sur ces questions.
- Une loi-cadre, assortie d’un budget d’au moins 2.6 milliards d’euros pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles dans toute la société
- Des moyens pour une politique culturelle et éducative antisexiste ambitieuse
- Des moyens pour la santé mentale et la reconstruction, avec une réelle prise en charge des psychotraumatismes par notre système de santé
- La formation de toustes les professionnel-le-s de santé au consentement et à la prise en compte de la diversité des corps et des identités
- La formation de toustes les professionnel-le-s de l'éducation et de l'enfance à la détection des violences et à la prise en charge de la parole des victimes
- La formation des toustes les professionnel-le-s de la police et de la justice pour que cessent l'humiliation systématique des victimes et l'impunité des auteurs
- L'arrêt des crimes de guerre en Palestine, au Liban et en Israël, une véritable diplomatie féministe qui appelle au cessez-le-feu