Lors des rassemblements des 21 et 25 novembre organisés le collectif droits des femmes 69, des femmes sans papiers ont pris la parole. Nous avons rencontré Najeh pour qu’elle nous explique leur combat.
Peux-tu nous présenter le collectif sans papiers 69 ?
Le collectif s’est créé au mois de juin, après une 1ère manifestation le 30 mai, pendant le confinement. Parce que c’est très compliqué pour nous les sans papiers : à cause des conditions sanitaires on n’a pas de ressources. On avait des liens sur facebook pour parler de nos conditions, et on a décidé d’une manifestation dans toute la France.
Il y a avait déjà des collectifs avant, mais la situation nous a poussé à crier à haute voix
Beaucoup de gens nous ont rejoint pour la grande manifestation le 20 juin, ici à Bellecour. On a décidé de faire une réunion toutes les semaines avec le nouveau collectif, et une tous les 15 jours avec les soutiens : des syndicats (CGT, Solidaires), des associations comme RESF, avec les squats…. Et pendant les vacances on s’est réunis pour préparer l’axe 3 : la marche.
Vous avez organisé une marche, à laquelle tu as participé…
J’étais au départ de la marche à Marseille, on a traversé presque tout Marseille, on est allé vers le centre de rétention pour des prises de parole. Ici on a rejoint les marcheurs du sud à Vénissieux au marché des Minguettes, c’était un symbole de rencontrer des personnes qui avaient participé à la marche contre le racisme de 1983. Le lendemain on a rejoint les marcheurs de l’ouest, de Grenoble, au centre de rétention. Ensuite il y a eu des étapes en train, mais c’était chaque jour 20, 25, 30 km de marche par jour. On rencontrait les habitants dans chaque ville, Chalons, Macon, qui préparaient un repas, organisaient l’hébergement chez des gens, dans des communautés catholiques, des gymnases… c’est inoubliable, très chaleureux. A chaque étape il y a avait des manifestations. Pour la grande manif du 17 à Paris, on a commencé à marcher dès 10H du matin. On est arrivé place de la République, les marcheurs en tête. Le lendemain on a fait une réunion de tous les collectifs, pour faire le bilan de la marche, et des propositions pour le prochain acte.
Peux-tu nous parler plus en détail des conséquences des conditions sanitaires ?
Le confinement c’est très compliqué, on ne peut pas travailler, on ne peut pas bouger. Même les hommes qui ont l’habitude de travailler au noir, dans le bâtiment, ils ne peuvent pas travailler car il y a beaucoup de contrôles. Samedi dernier je suis venue à la manifestation, mais ils faisaient des contrôles, j’ai du rentrer chez moi, je n’ai pas pu participer. Psychologiquement c’est très dur, nous sommes très fatigués. Même si avec le temps on finira par avoir ces papiers, nous sommes déprimés.
Nous sommes dans une vie menacée. Avec mes enfants on sort très peu, juste autour de la maison pour marcher un peu, aller au parc.
Pendant la manifestation contre les centres de rétention, un militant sans papier parlait aussi de la honte…
Une fois j’étais à l’hôpital, à l’accueil elle était souriante, mais quand j’ai donné ma carte d’aide médicale, elle a changé de comportement. C’est quoi la différence entre une demandeuse de papiers et une citoyenne ?
Nous sommes hébergés chez des soutiens, c’est presque comme une famille, mais nous ne sommes pas indépendants. Mon fils a un devoir : faire une photo de sa chambre, l’imprimer… comment je fais ? Je cherche une solution pour qu’il ne soit pas blessé. Je ne veux pas qu’il ait le sentiment de n’être pas égal aux autres.
Quelle est la particularité de la situation des femmes sans papiers ?
Pour le 25 novembre, on a rédigé un texte avec 7 femmes des différents collectifs de la France pour parler des violences. Au collectif il y a beaucoup de femmes seules, ou seules avec des enfants. Elles ont beaucoup de problèmes, des gens qui profitent des femmes dans ces conditions. Si des hommes te proposent de l’aide, ce n’est pas innocent, il y a un chantage derrière. J’ai fait une annonce sur un site où on peut trouver du travail, j’ai eu des messages un peu bizarres : « ça m’arrange que tu n’aies pas d’enfants », « il faudrait rester la nuit »… Il y a des femmes qui ont été violées.
C’est aussi les violences à la maison : je connais une femme qui a été mise à la porte, elle n’a rien. Je connais une autre femme qui est là depuis 8 ans, mais elle est toujours sans papiers. Son mari lui donne des ordres, l’insulte, ne veut pas qu’elle prenne des cours de français. Si elle divorce, elle n’a rien.
Vous dénoncez la circulaire Vals…
Les dossiers prennent beaucoup de temps, même si tu es mariée à un Français, même avec un enfant né ici, ça prend plusieurs années. Il faut 5 ans de présence ou 3 ans de scolarisation des enfants.
Et vous parlez des violences administratives : les centres de rétention, la dématérialisation des services de la préfecture qui rend les démarches très compliquées…
Et c’est très difficile de voir une assistance sociale. Pendant l’été, les lunettes de mon fils étaient cassées, j’ai pris un rendez-vous avec l’assistante sociale de la Métropole mais il a été annulé au dernier moment. Et jusqu’à maintenant je n’ai pas obtenu de nouveau rendez-vous, alors que j’insiste. Il y a eu une cagnotte pour les lunettes, avec des soutiens. Je connais beaucoup de femmes qui ne connaissent pas les démarches. Entre nous on s’aide pour traduire.
Dans vos revendications, il y a celle d’une « carte citoyenne » permettant de travailler, d’étudier, de se déplacer.
En Allemagne avec la crise sanitaire, ils ont mis ça en place. On demande à pouvoir travailler. Etre sans papiers, c’est être exploité. Etre payé 2 euros de l’heure parce qu’on n’a pas le choix. Travailler plusieurs jours, et la personne ne te paie que quelques heures… Les gens profitent de toi.
La liberté de circulation, c’est un privilège. Je ne veux pas imaginer si je perds quelqu’un ; tu perds une personne très chère et tu ne peux pas y aller. Il y en a parmi nous qui n’ont pas vu leurs enfants depuis plusieurs années. Si les visas et les voyages n’étaient pas si chers, on ne penserait pas à rester en France, mais c’est trop cher. Pourquoi tous les Français visitent la Tunisie sans visa, font des circuits pour 150 euros la semaine ? Nous ne sommes pas indépendants. Nous sommes moins riches et pourtant ce sont les citoyens des pays riches qui ne paient pas ! C’est du racisme, non ?
Quelles ont les prochaines étapes, pour votre collectif ?
L’acte 4 est prévu le 18 décembre, pour la journée internationale des migrants, on organise des manifestations dans toute la France. On a circulé dans tous les foyers, tous les squats, mais malgré ça il y en a encore qui ne sont pas au courant. Il y a beaucoup des sans-papiers qui ont peur.
On a été reçu par le maire de Villeurbanne, on a contacté la ville de Lyon. Mais depuis mai on n’a pas une seule réaction de l’Etat. Nous sommes invisibles dans les médias, à part les médias locaux, sur facebook…
On essaie de prendre la parole dans différents événements. On doit continuer, avoir du souffle, mais avec en parallèle notre vie personnelle c’est difficile. Les réunions j’aime bien pour oublier ma situation. Il y a un nouveau squat qui est en train d’ouvrir, et je suis très contente parce qu’on a décidé de faire des animations, surtout pour les enfants, un club de danse… on a beaucoup de temps vide.
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Depuis cette interview, le collectif poursuit son combat pour la régularisation.
A faire tourner notamment, cette pétition :
Les militantes sans-papiers prendront à nouveau la parole lors des manifestations autour du 8 mars à Lyon.